Tous les hommes sont-ils également conscients ?
A) Pour la doxa, la différence entre les hommes est une évidence.
- Tous les hommes ne sont pas égaux. Certains ont de grandes capacités d’abstraction alors que d’autres doivent œuvrer de manière laborieuse pour obtenir les mêmes résultats. Ceci n’a rien d’étonnant car l’inégalité est le lot même de la nature. L’égalité étant plutôt un concept culturel, consensuel voire politique. - Tous les hommes n’ont pas non plus les mêmes qualités morales. Certains individus sont généreux et altruistes alors que d’autres semblent incapables de faire un acte qui soit désintéressé. On peut citer cette phrase de Montaigne selon laquelle il y a parfois plus de distance d’homme à homme que d’homme à bête. Les humains sont capables du pire comme du meilleur.
B) La doxa énonce un sentiment très juste, dont nous avons tous fait l’expérience. En revanche, les conséquences de cette analyse méritent d’être approfondies.
- S’il y a des hommes plus sensibles au savoir ou à la morale, est-ce que cela veut dire qu’ils sont plus humains que les autres ? En disant qu’il y a des individus plus ou moins parfaits, est-ce qu’on ne prend pas le risque de créer des catégories d’hommes et de sous-hommes ? Surtout si cette perfection venait hypothétiquement de la nature ? Ne faut-il pas plutôt constater que la conscience est globalement, ce qui nous sépare des animaux, quelles que soient les valeurs auxquelles on souscrit. Au fond, que l’on utilise bien ou mal un instrument, cela ne veut pas dire qu’on possède plus ou moins cet instrument. Tout homme a accès au cogito cartésien. C’est en tant qu’être pensant qu’il se singularise. Hormis quelques très rares cas de démence, il faut admettre que les actes les plus condamnables (conscience morale) ou les plus imbéciles (conscience réfléchie) sont commis par des hommes capables de raison. - En outre, on pourra remarquer que c’est dans un milieu culturel que l’homme évolue et s’éduque. La conscience se forme au contact des moyens que les groupes sociaux mettent au service des individus. Or, toute société possède des classes sociales plus ou moins privilégiées. Pour Jean-Jacques Rousseau, la société est même la seule cause de l’inégalité parmi les hommes. On peut ajouter que les travaux produits par les sciences sociales montrent que les plus ou moins grandes capacités n’ont pas grand-chose à voir avec la génétique. Cela fait plus d’un siècle qu’a été abandonnée l’idée de mettre en parallèle un gène et un caractère. Nos qualités morales ou intellectuelles sont en étroite relation avec ce contexte socioculturel. Ainsi, rien ne nous autorise à penser que les hommes ne naissent pas égaux en conscience.
C) Une thèse possible : il faut formuler l’hypothèse que tous les hommes sont également conscients, quand bien même nous aurions les doutes les plus sérieux.
La faculté qui pousse notre conscience à produire ce qu’elle a de meilleur se nomme la raison. De ce substantif sont nés deux adjectifs : rationnel et raisonnable. Le premier concerne la conscience « savante » et l’autre la conscience « morale ». S’il n’y a pas universalité de la conscience et de la raison, nous devons abandonner toute prétention au vrai et au bien. Malebranche le souligne dans La recherche de la vérité : « Je vois, par exemple, que 2 fois 2 font 4, et qu'il faut préférer son ami à son chien, et je suis certain qu'il n'y a point d'homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. » Il faut l’admette. - La science ne vaut que si elle peut être comprise par tous. Une science qui ne serait valable que pour une culture n’aurait aucune portée. Elle définirait des vérités « régionales », ce qui équivaut à formuler de simples opinions. - La morale doit pouvoir être partagée par tous les humains. Le cas non échéant tout deviendrait permis. Il suffirait de dire qu’il s’agit de particularismes culturels. Le relativisme triompherait pour la plus grande joie de la barbarie.
Le fait que nous soyons également conscients ne fait pas de nous des êtres identiques voire une armée de clones. Bien au contraire. Ce qui spécifie la conscience, c’est la capacité de différencier, d’individualiser. Étrangement, c’est parce que nous sommes tous égaux en conscience que nous sommes chacun particuliers.
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Dernière modification le : 16/12/2019 @ 20:26
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