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Vocabulaire critique de N à Q

Le livre entier est téléchargeable gratuitement en epub ou PDF aux adresses suivantes :






NOM D'UN CHIEN : Le nom d'un chien est ce qu'il y a peut-être de plus important. Quiconque a vécu avec cet animal à quatre pattes sait que l'on prononce le nom de son chien au moins cinquante fois par jour. "Viens ici", "Reste là", "Attends", "Non", "Laisse ça", etc. Cette panoplie d'ordres quotidiens ne vaut réellement que quand ceux-ci sont suivis ou précédés du nom de l'animal. Tous les chiens sont assez intelligents pour reconnaitre leur nom. Ou, quand il s'agit d'une espèce un peu limitée intellectuellement, ils savent que tel ordre s'adresse directement à eux. Ne serait-ce que parce que l'animal en fait les frais immédiatement, soit par un compliment soit par un reproche. Les expériences de Pavlov sont particulièrement éclairantes à ce sujet.
Comment choisir un nom de chien ?
Nul doute que des esprits chagrins diraient qu'un nom est un nom et qu'un chien est un chien. Du coup, on s'en ficherait un peu et on pourrait appeler son chien "Chien" ou "Le chien" ou "Ouaf-ouaf"… Certes, quand on plus de cinq ans, on risque de passer pour un peu limité.
Un vrai nom s'impose, car il faut bien qu'on puisse le différencier quand il y a d'autres chiens, par exemple. On n'a pas l'air stupide si, en criant "Viens le chien", toute la meute débarque. Un chien a droit à un nom. D'ailleurs, il y a même des noms de chien : Médor, Rintintin, Rantanplan … Essayez d'appeler ainsi l'un de vos enfants, vous verrez la bronca qu'il vous faudra affronter.
Jusqu'où peut-on aller quand on nomme un chien ?
C'est un animal familier, parfois même (pour les dépressifs) le seul "vrai ami". Mais cela reste quand même une chose à quatre pattes, avec des mœurs bizarres, enfin … des mœurs animales. Il ya des choses que font spontanément les chiens quand ils se rencontrent, que l'on n'oserait pas faire, même sous l'effet de drogues puissantes. Restons civilisés.
Comment concilier cette étrange familiarité que nous partageons avec notre chien ?
Quand bien même nous l'admirerions, ira-t-on jusqu'à l'appeler Louis Pasteur, Marie Curie ou Mère Térésa ? Ce serait étrange. Peut-être que ceux-là méritent mieux que d'être réincarné (nominativement) en chien.
De toute manière, ce serait exagéré, car là, nous avons un prénom et un nom. Or, il n'y a pas, à ce que je sache, de prénom de chien. C'est quelque chose de trop humain : il nous faut distinguer le père et le fils au sein d'une même famille. Quand bien même ils porteraient le même prénom, il faudra trouver un surnom pour les distinguer voire ajouter un chiffre comme on peut le faire aux États-Unis d'Amérique. John Davison Rockefeller III, n'est pas John Davison Rockefeller II … On trouve cela un peu ridicule. En revanche, le surnom est souvent parlant. Les Romains avaient poussé l'art du nom très loin. Ils avaient un système qu'ils nommaient "tria nomina" (trois noms) : le praenomen, le nomen et le cognomen (le prénom, le nom, le surnom). Par exemple, le génial auteur de "De la nature des choses" s'appelait Titus Lucretius Carus. Titus, de la famille des Lucrèce, surnommé le "cher", "l'ami".
On imagine un nom de chien de la sorte : Adolf Caninus Barbarus. On pense évidemment à un animal peu sympathique, du moins aussi peu que ne doit l'être son maître.
Schopenhauer adorait les chiens. En revanche, il ne voyait pas trop l'intérêt de donner un nom différent à chacun de ses chiens successifs. Il eut des caniches qu'il nomma tous "Atma", ce qui signifie l'âme du monde en sanscrit.
On comprend que la question du nom engage, comme tout nom, la nécessité de produire une définition ou, du moins, des limites dans lesquelles circonscrire le concept que l'on évoque. Qu'est-ce qu'un chien, pour nous ? Est-il un animal familier ou peut-il devenir un proche ?
C'est une question sans réponse globale, elle nous engage en particulier. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il est possible d'être très ridicule dans son rapport à notre animal familier. L'amour est aveugle.

NON : Le pouvoir de dire "non" est le propre de l'homme. Aucun animal n'est en mesure d'aller à l'encontre des dispositions instinctives qui le "programment". Ainsi, dans les années 70, à Palo-Alto (USA) des expériences ont été menées pour apprendre des signes du langage sourd-muet à des singes. Le plus doué d'entre eux, Washoo, a réussi à apprendre 300 signes. Il savait par exemple dire "Washoo veux manger la pomme qui est dans la corbeille". En revanche, dès qu'on retirait la pomme et qu'on lui demandait de "signer" la situation il en était incapable. Systématiquement, il cherchait la pomme pour la mettre dans la corbeille et disait : "La pomme est dans la corbeille." L'animal n'aurait pas accès à la négation, il ne peut se représenter l'absence des choses. Ainsi, notre langage commence non pas par nommer les choses, mais par nommer leur absence. Tout repose sur le néant.

NON 2 : La psychologie cognitive nous apprend qu'il est très dur, pour un homme éduqué, de dire "non". Notre culture nous apprend à consentir, à être affable, car il semble établi que c'est la base de toute sociabilité.
Enfant, nous apprenons à obéir. Nous devons nous soumettre aux règles édictées par nos parents. C'est, paraît-il, pour notre bien. Dire "non" à nos parents n'est pas pensable. Quand on est petit, ce serait s'attirer les foudres divines. Alors, on s'y fait. On apprend à dire "oui", soit par peur soit pour faire plaisir. Ici, le motif importe peu.
Une fois adultes, nous avons pris le pli. Nous sommes généralement devenus lisses pour éviter toute forme de conflit. À vrai dire, nous avons beaucoup appris de notre adolescence où nous ne cessions de dire "non", par principe. Il fallait bien trouver un moyen pour tenter de prendre ses distances par rapport à l'autorité. Mais ces "non" répétés n'étaient pas toujours très rationnels. L'adolescence est une période compliquée. Alors, quand on parvient à en sortir, dire "non" nous parait désormais problématique. Ce serait presque un acte régressif.
Les grands manipulateurs sont très conscients de cela et ils en jouent sans vergogne.
Dans un vote à main levée, si l'on veut obtenir une très bonne majorité, il est plus intéressant de demander "qui s'oppose ?" plutôt que "qui est d'accord ?". Dans le second cas, pour s'opposer il suffit de ne pas se manifester, alors que dans le premier cas, il faut faire face et s'assumer comme opposant, ce qui est moins facile.
Les publicitaires savent que les honnêtes gens ont tendance à aller dans le sens de l'opinion générale et qu'ils cèdent assez facilement à la pression du groupe. Ils jouent de cette dynamique pour produire des ventes massives dans les supermarchés ou lors de réunions où se font des ventes promotionnelles.
Dire non reviendrait à se marginaliser, pour la plupart des gens.
Et pourtant, il y a peu d'actes aussi forts que de refuser de suivre un ordre aveuglément.
Savoir dire non est à la base de tout acte libre et c'est ainsi que nous devrions être éduqués.
Cette phrase vous parait subversive ? Vous auriez tort.
Dans ses "Mémoires sur l'instruction publique" (1791), Condorcet préconise une éducation capable de rendre le peuple "indocile et difficile à gouverner". Il a compris qu'il ne saurait y avoir de république démocratique si les citoyens sont incapables de remettre en cause l'autorité, en débattant de la pertinence des lois. Il n'y a que les dictatures pour obliger les hommes à admettre, sans réserve, les règles imposées au sommet de la pyramide du pouvoir.
En cela, Condorcet suit le mouvement des Lumières, qui conseillent d'apprendre à penser par soi-même. Ce qui implique tôt ou tard de dire "non". A moins de vivre dans un monde idyllique, il n'est pas possible de souscrire à toutes les règles et conserver un minimum de liberté voire de dignité.
Voltaire, Rousseau, Diderot… par leur exil ou leur emprisonnement, ont payé un prix fort pour avoir dit non. Condorcet lui-même finira ses jours dans une cellule, au tournant tragique d'une révolution qu'il a voulu et servi.
Dire "non", cela ne signifie pas refuser l'idée qu'il puisse y avoir un ordre, mais que tel ordre précis est inadmissible. Tout pouvoir joue sur ce chantage absurde : moi ou le chaos. Or, aucune autorité n'est absolue.
L'histoire est une discipline très instructive à cet égard. À chaque civilisation qui s'effondre correspond un nouvel âge, avec de nouvelles valeurs qui ne sont rien d'autre que la négation viable de ce qui a précédé.
Au fond, l'histoire n'est peut-être rien d'autre que cette dynamique du "non" qui sculpte et érige l'identité de l'humanité. N'est-ce pas ce que Hegel et Marx appellent la dialectique ?
Voilà peut-être le maître mot du progrès. Il faut s'inscrire dans une philosophie du non, rétive et réticente à toute euphorie naïve, afin de magnifier, par sa réticence même, l'affirmation de soi.
Est-ce paradoxal ?
Oui, peut-être.

NORME : Le terme "norme" renvoie à deux adjectifs très différents. Se rapporte à la norme, d'une part ce qui est "normal" et de l'autre, ce qui est "normatif" ou "normé". Il ne faudrait surtout pas confondre l'un et l'autre.
Le terme "normal" désigne un état de fait qui est admis par un groupe social à une époque donnée. C'est le constat d'une généralité. Ici, il ne faut pas chercher une justification rationnelle ou morale. On est dans le cadre le plus banal ce que l'on nomme "l'usage". Ce qui est normal, ici ou là, ne fait qu'exprimer ce qui est communément admis. Comme cela ne suppose aucune règle précise, on est forcément dans un relativisme. Par exemple, on peut considérer que la violence est normale dans certaines situations de crise : famine, épidémie, guerre, etc. Cela ne justifie rien, au mieux cela "explique" une certaine logique. En revanche, on pourra considérer que, dans une société prospère, la violence n'est pas normale. À quoi bon s'en prendre à son voisin quand on ne manque de rien ?
La "norme", c'est autre chose. C'est peut-être une solution au relativisme du "normal". La norme édicte et impose une règle. Ce qui est "normé" ou "normatif" correspond à des règles très précises auxquelles il faut se conformer. Le but est d'imposer une valeur à laquelle tout le monde devra souscrire pour éviter que chaque individu laisse libre cours à son interprétation personnelle du monde. Pour reprendre les exemples évoqués plus haut, la norme peut exiger qu'il n'y ait aucune violence, y compris dans une situation de crise et de famine. Par la norme, on reconnaît que cela peut être, mais que cela n'a aucune raison d'être. La norme, c'est, entre autres, la loi. Ce qui transcende les faits particuliers pour envisager une perspective plus lointaine, mais plus cohérente. On se plaint souvent des normes et on en souligne l'aspect parfois arbitraire, mais que serions-nous dans un monde où l'usage dicterait le droit ? Il suffirait qu'une pratique soit courante pour qu'elle devienne acceptable. Dans un tel contexte, on voit mal comment lutter contre la corruption et l'exploitation, dont il faut bien admettre, hélas, la banalité.
Mais il ne faudrait pas conclure hâtivement que la norme et la normalité sont irréconciliables. En effet, il existe un milieu où l'un et l'autre trouvent qu'il est pertinent de dialoguer. Cet espace, c'est celui de la "tolérance".
Parfois, la norme est trop sévère et dans son souci d'égalité, elle peut omettre l'idée d'équité. Une loi devrait être aveugle (afin de ne pas céder aux sirènes du pouvoir ou de l'intérêt) mais il ne faut pas non plus qu'elle devienne absurde. Il faut traiter également tous les citoyens, mais il y a des circonstances qui font que, parfois, il est impossible de se soumettre à la norme. Alors, dans un souci de justice, il faut laisser ce qui est normal s'installer en lieu et place de la norme. Après tout, quand la norme n'est pas l'expression d'une force arbitraire, son souci est avant tout de faire en sorte que la vie soit possible.
Il est vrai que la norme a mauvaise presse et c'est injuste. Qui ne s'est jamais "cru" la victime d'une institution tatillonne qui exige tel formulaire ou non tel autre pour pouvoir engager telle ou telle action administrative ? On s'est tous "cru" victime du sadisme supposé de certains fonctionnaires. Mais il y a souvent une différence entre ce que l'on croit et ce qui est. Un sadique n'est jamais masochiste. Peut-on imaginer un fonctionnaire sadique qui, par son zèle administratif, se compliquerait lui-même la tâche ? Pensez-vous que l'exigence de tel formulaire plutôt que tel autre facilite la vie de celui qui doit finaliser les dossiers ? On peut en douter.
Certes, il existe des cas psychiatriques, mais ils sont marginaux.

NOUVEAU : Nous vivons dans un monde où ce qui est nouveau triomphe de toute autre valeur. Certes, il reste quelques individus pour qui l'ancien est toujours préférable au nouveau, mais ce sont une minorité que l'on nomme les "réactionnaires" ou, plus pudiquement, les "antimodernes". Hormis cette garde rétrograde, le reste de l'humanité s'extasie dans une sorte de communion planétaire de la nouveauté. D'où cela vient-il ? La question mérite à peine d'être posée tant les études sur la société de consommation et le consumérisme sont légions. Selon la plupart de ces analyses, après les révolutions industrielles du XIXe siècle, l'économie de marché aurait remplacé le système d'échanges traditionnel, pour mettre en place une société du désir. Comme l'offre est abondante et qu'il faut bien vendre, il a fallu créer de la demande et, pour ce faire, on a inventé des besoins inutiles. Progressivement, nos cerveaux seraient devenus des espaces publicitaires pour des grandes marques de soda ou pour des fast-foods. L'idée est loin d'être fausse et il est vrai que les manipulateurs de masse tels Edward Bernays (auteur, en 1928, de "Propaganda, comment manipuler l'opinion en démocratie") ont fait un travail impressionnant. Des millions de gens ont fini par croire qu'il est important de s'identifier à ce que l'on consomme, au point de confondre l'être et l'avoir.
Pour vendre beaucoup et obliger le consommateur moyen à renouveler ses désirs, il faut lui faire croire que le progrès existe. Il faut qu'il admettre l'idée qu'aujourd'hui est meilleur qu'hier et que les lendemains chantent. Les produits de demain seront encore plus performants donc plus désirables. Sinon, à quoi bon vouloir consommer davantage ?
Mais identifier cette période économique avec l'attrait spécifique que l'humanité a pour la nouveauté serait peut-être exagérer l'importance de ce phénomène. Ne serions-nous que des fashion victime ? L'hypothèse est un peu courte. On sait aussi que l'économie de marché est souvent très excessive, voire un peu menteuse, quant à ce qu'elle est ou quant à ce dont elle est capable. Souvenons-nous de ce passage célèbre de Bertolt Brecht : "Tous les matins, pour gagner mon pain, je vais au marché où l'on vend des mensonges et je me tiens, plein d'espoir, près du vendeur." Le monde de la publicité ne dit pas toujours la vérité.
Non, l'attrait pour la nouveauté n'est pas neuf. Il ne date certainement pas du XIXe siècle.
Pourquoi n'est-ce pas neuf ? Tout simplement parce que la querelle des anciens et des modernes est aussi ancienne que notre histoire. Si cela vous semble absurde, souvenez-vous ou apprenez qu'au Ve siècle av. J.-C., les contemporains de Socrate se battent pour savoir si Euripide (-480 / -406) est un traître ou un continuateur d'Eschyle (-525 / -456). Les tragédies du premier sont trop "neuves". Cette nouveauté, d'il y a 25 siècles, aurait été de nature à corrompre la tradition "classique" (forcément "classique").
Idem pour Socrate, dont les idées, trop "neuves", étaient considérées comme étant de nature à pouvoir empoisonner la jeunesse.
Tout cela parait trop sacrilège, trop irrespectueux, presque contre nature.
Et pourtant, quand on épouse le point de vue de l'historien et que l'on regarde à reculons, les novateurs ont souvent raison. C'est pour cette raison qu'on les glorifie, qu'on y voit aussi les artisans de cette modernité dans laquelle nous nous reconnaissons comme le résultat d'un mouvement émancipateur.
Alors, qu'est-ce qui peut bien pousser un homme à aimer la nouveauté ?
D'abord, on peut répondre par une lapalissade : la nouveauté attire, car elle est neuve. À l'instar du poète nous pouvons être las du monde ancien. On veut du neuf, on veut changer pour changer. N'est-ce pas comme cela que beaucoup d'hommes politiques falots sont élus ?
Ensuite, on peut rendre justice à l'intelligence de l'homme. Le nouveau n'est pas intéressant par hasard ou juste à cause d'un réflexe conditionné. Souvent, il apparaît quand l'ancien est réellement dépassé ou qu'il n'a plus les moyens de faire croire qu'il n'y a aucune alternative (ce qui revient au même). Les révolutions naissent de là. La Révolution française est un bon exemple. Peu d'hommes du XVIIIe siècle sont capables de penser un régime politique sans un roi. Si d'aucuns pensaient qu'il peut être pertinent de déposer un roi, ce serait évidemment pour en imposer un autre. Ils voulaient bien changer de système monarchique. Le roi serait élu, par exemple, au lieu d'être imposé de droit "divin". Renoncer à l'idée de monarchie semble impensable à de nombreux esprits y compris les plus brillants.
Enfin, il n'est pas absurde de dire que la nouveauté attire aussi parce qu'elle est une promesse d'avenir. Peut-être que la nouveauté n'incarne pas seulement le ras-le-bol évoqué plus haut. Elle crée un horizon qui nous permet de dépasser la myopie du train-train quotidien. S'il y a des choses neuves, c'est qu'il y a peut-être du progrès. Or, le progrès est rassurant. Sauf pour les "antimodernes", l'idée de progrès n'est pas forcément synonyme de déchéance. Peu importe d'ailleurs que cette idée soit adéquate, ici elle ne vaut que comme idée, c'est-à-dire quelque chose à quoi l'on a envie de croire, ou du moins à quoi l'on veut adhérer. Le "nouveau" est une porte de sortie à laquelle on peut aspirer quoiqu'il nous coûte de l'emprunter. Ce n'est peut-être que le "désir d'un désir" (soit une excellente définition du "progrès").
Il y a un tableau de René Magritte qui représente la peinture d'une porte ouverte, juste au-devant de la porte qui est "réellement" ouverte. On peut se demander pour quoi cette répétition. Avec un peu d'astuce, on peut y voir l'éloge de la fuite. La représentation d'une porte ouverte est aussi importante qu'une porte ouverte. En effet, sans l'envie de l'une, il n'est pas possible d'avoir l'autre. Si je ne pense pas que je peux m'ouvrir (symboliquement, "comme une porte") à quelque chose d'autre, jamais je ne saisirais l'occasion de le faire. La porte et le tableau de la porte sont indissociables. D'ailleurs, ils sont réunis dans l'œil de spectateur. L'art, et surtout la peinture, est un grand vecteur de nouveauté. C'est aussi un vecteur d'émancipation de soi.
C'est là où la nouveauté cesse d'être une simple curiosité de consommateur avide de désirs artificiels. Prise dans son essence, le nouveau n'est pas qu'un simple appât à gogo dans les allées d'un supermarché. C'est une perspective capable de nous déraciner, d'inquiéter notre paresse ou notre goût du conformisme. Le goût du nouveau est le goût pour le nouveau, pour ce que l'on n'a jamais goûté. Certes, il peut-être inquiétant, car il arrive que le pire cherche à se justifier par là. Mais renoncer au nouveau au nom de l'ancien est peu admissible. La suspicion que pourrait produire l'idée de progrès est souvent moins grave que le fait de se contenter d'acquiescer à l'écrasante domination des valeurs dites ancestrales.
Maintenant, nous savons tous que quand on nous exhorte à faire des réformes pour "faire des réformes", c'est un mensonge politique énorme. Il faut demeurer lucide.
Le nouveau ne vaut que s'il est libre de toute idéologie. En ce sens, il est toujours profondément révolutionnaire. C'est peut-être la raison pour laquelle il y a si peu de nouveauté en politique, car il n'y a peut-être rien de moins révolutionnaire que la politique.
Mais c'est un autre chapitre …

OBSOLESCENCE : Cela signifie simplement que quelque chose est dépassé. Que cette chose n'est plus apte à remplir sa fonction ou tout simplement que sa fonction est devenue inutile. Dans le premier cas, on n'hésitera pas à se débarrasser d'un ordinateur trop lent pour pouvoir jouer à un jeu récent. Dans le second cas, on s'amusera de l'inutilité d'un minitel dans un monde où tout passe par internet. Ce sont deux exemples types d'obsolescence.
Ce terme a une actualité récente. L'expression "obsolescence programmée" est devenue consacrée grâce à un documentaire diffusé et rediffusé sur tous les médias. Cette expression désigne l'une des aberrations du consumérisme. Afin de nourrir grassement la société de consommation, il faut faire en sorte que les produits ne durent pas trop longtemps. Aussi, des ingénieux "capitaines d'industrie", ont eu l'idée de faire des produits qui ne durent pas. Ils ont demandé à leurs ingénieurs de fragiliser ce qu'ils inventaient afin que les consommateurs les changent plus souvent. Dans ledit documentaire, on voit comment une imprimante tombe en panne au bout de 15.000 pages imprimées. Là, ce n'est pas le matériel qui pose problème, c'est une disposition du constructeur pour obliger ses clients à renouveler leur matériel informatique. On voit un homme reformater la puce de l'imprimante, coupable du blocage, afin que la même machine serve deux fois plus longtemps. Ici, le terme "escroquerie" est-il abusif ?
On nous a dit qu'il y a eu un temps où certains biens de consommation étaient garantis à vie (une voiture, un réfrigérateur, une montre, etc.). Aujourd'hui, c'est la garantie qui définit le temps de vie d'un objet, car il va de soi qu'aucune assurance n'est assez stupide pour vous rembourser un produit usagé. La durée de la garantie est généralement un peu plus longue que la durée de vie de votre appareil.
Mais ce n'est pas de cela dont il est question.
L'obsolescence ne concerne pas seulement les objets, il touche aussi les personnes. Certes, c'est un peu gauche de parler d'obsolescence quand il s'agit d'un être humain. Mais pourquoi pas, quand le mot désigne exactement ce que l'on veut exprimer ? Et puis, nous le verrons, les mots sont eux-mêmes victimes d'obsolescence.
Ici, on vise surtout les personnes. Plus exactement les personnes à travers les mots qu'ils utilisent.
Il faut savoir que les champs sémantiques sont comme certains espaces mobiliers. On les assimile volontiers à des endroits précis d'une maison, à la salle de séjour, à la cave ou au grenier. D'ailleurs, c'est souvent dans ces lieux que les objets désignés ont leur place. Si vous possédez un minitel en 2017, c'est qu'il dort dans un carton dans votre grenier. On n'imagine mal qu'il puisse trôner dans votre séjour entre votre ordinateur portable, votre tablette et votre iPhone. Qu'y ferait-il ?
Notre relative obsolescence tient souvent aux expressions que nous utilisons. Elles trahissent notre appartenance à un âge qui n'est pas toujours en phase avec notre époque.
Qui parle, à un adolescent, de télévision en "noir et blanc", de "Kway", de "cabine téléphonique", de "ticket de quai", prend un gros risque. Il risque de passer très vite pour un vieux machin, dont le langage est aussi incompréhensible que le monde qu'il évoque.
Les mots, les expressions, les tournures sont terriblement datés. Il arrive que nous nous dations nous-mêmes sans nous en rendre compte. Donc, attention à ce que notre obsolescence verbale ne déteigne pas sur nous. Attention aussi à ne pas essayer de conjurer cette usure du temps avec un langage "jeune" ou "d'jeune" qui nous propulserait immédiatement dans la sphère des vieux cons.
Outre l'économie et le langage, la politique sait aussi se servir de l'obsolescence.
Quand on veut justifier une réforme, il suffit souvent de dire que le modèle actuel est dépassé. Il faut "aller de l'avant" car c'est "l'avenir". Ces expressions sont tellement utilisées par les hommes politiques qu'on s'étonne qu'ils puissent encore s'en servir. Elles semblent échapper au temps.
Là où c'est plus insidieux, c'est quand l'obsolescence sert à masquer l'absence d'idées, de courage ou tout simplement de moyens. Alors, plutôt que changer la réalité, on change les mots. Il y a vingt ans, les chômeurs se rendaient à l'ANPE (Agence Nationale Pour l'Emploi) pour chercher du travail. Aujourd'hui, les "demandeurs d'emploi" vont à des "entretiens" à "Pôle Emploi". C'est pareil, peut-être même pire, vu la croissance du chômage, mais certains y voient un changement positif. Enfin, surtout ceux qui ne sont pas concernés par la question.
En fait, la vraie obsolescence, celle qui définit vraiment un dépassement, nous permet de nous situer dans le temps. Elle trace les charnières entre deux âges. L'obsolescence n'est pas forcément la marque d'un progrès, mais elle indique toujours une évolution. Elle est comme une sorte de cran qui empêche le temps de partir en arrière. Elle fixe les époques. Les limites qu'elle impose ont toujours une trace de rouille. On peut y trouver un charme, une forme de nostalgie, mais c'est rarement beau. Comment pourrait-on être admiratif de ce qui a pour synonyme : périmé, révolu, dépassé, démodé et caduc ? Il faut beaucoup aimer l'art contemporain pour éventuellement voir un intérêt dans un fatras de vieux machins inutiles qui moisit dans le coin d'une cave.
Oui, c'est ça être obsolète.

ON : "On", c'est l'incarnation de la doxa. "On" dit que… "On" prétend que… "On" a l'habitude de penser que ... "On", ce n'est personne et c'est tout le monde. Et c'est parce que c'est tout le monde que ce n'est personne. "On", c'est la généralité neutre.
Certes, il y a encore plus impersonnel que le on, c'est le "il". "Il" y a, "il" était une fois, voire "il" pleut... Ici nous atteignons des sommets de neutralité. Seul un enfant malicieux peut demander qui est-ce "il", qui pleut, quand "il" pleut. Le "il" est tellement insaisissable qu'il devient carrément la figure de l'altérité, de quelque chose d'indicible, car inassignable. Or, si le "on" est étrange, il n'est pas nécessairement étranger, du moins pas autant que le "il". Il y a une ambiguïté intéressante dans le "on" car il peut être à la fois inclusif et exclusif. Quand j'affirme, "on dit que..." sans vraiment préciser, personne ne peut dire si je m'inclus ou si je m'exclus du sujet. "On" peut renvoyer à un impersonnel neutre tout comme il peut signifier "nous". Combien de fois a-t-on entendu la phrase : "On dit que... et on a raison de le dire." Il n'y a là aucune contradiction. C'est cela la force doxique du "on", il est assez vague pour pouvoir s'adapter à l'interlocuteur sans que l'on se soucie de produire une pensée sérieuse ou réfléchie. En effet, celui qui affirme : "On dit que..." à très largement le temps de regarder le visage et l'expression de celui à qui il s'adresse pour moduler le contenu en fonction de l'approbation ou la désapprobation de l'autre. On dit que... et on a raison ou on a tort... Peu importe au fond.
Voilà pourquoi c'est sans aucun doute le propre de la doxa. Le "on" est l'un des moteurs de cette parole qui se soucie peu du contenu de ce qui est dit, car "on" parle pour parler. Rien de plus.

ORDINAIRE : Voilà un terme qui ne parait pas étonnant. C'est normal, car c'est ce qu'il signifie. Est "ordinaire" quelque chose qui ne présente strictement aucune originalité voire qui ne présente aucun intérêt. Cela ne veut pas dire que c'est inutile ou absurde, bien au contraire. Ce qui est ordinaire est très souvent ce que l'on réduit à sa seule utilité, ce qui disparait dans la fonctionnalité. Le contraire de l'ordinaire ? Le rare, l'impressionnant, l'étonnant, le remarquable… Ce dernier terme est essentiel, car ce qui est purement fonctionnel est d'une telle évidente, pour nous, qu'on ne le remarque même plus. Pour paraphraser Hegel, on pourrait dire que c'est du "gris sur un fond gris". Il est difficile de faire plus banal. On atteint presque le domaine de l'invisible.
Alors, pourquoi en parle-t-on ? En quoi un sujet aussi plat peut-il devenir l'objet d'une réflexion ? Tout simplement parce que, si le sujet n'a pas d'intérêt pour lui-même, il évoque une question très importante. Si l'ordinaire n'a pas de poids, il a un contrepoids de taille. Celui-ci n'est autre que "la panne" (ou le dysfonctionnement). En règle générale, nous ne nous préoccupons pas de ce qui est ordinaire, mais quand celui-ci fait défaut, c'est notre monde entier qui s'effondre. Tout ce que nous considérions comme acquis, cesse de l'être. Plus de réseaux pour le téléphone, la box wifi cesse d'émettre, l'électricité est coupée … L'horreur. Nous sommes plongés dans une stupéfaction totale. Puis on s'indigne, la colère s'installe. On éructe : "D'ordinaire, ça fonctionne". Oui, mais nous ne sommes plus dans l'ordinaire. Notre quotidien confortable est troublé par la révolte de nos objets-esclaves, tout nous parait désormais "extra"-ordinaire. Comment cela est-il possible ? Qui est à l'origine de cela ? Qu'allons-nous devenir ? Ce n'est pas normal. Et voici la normalité évoquée comme l'expression de la norme existentielle. En quoi faut-il encore croire si l'ordinaire cesse de l'être ? Tout cela est-il concevable ?
Sans doute, cela doit être concevable puisque c'est possible.
N'oublions pas non plus que ce qui nous parait évident ne l'est pas nécessairement pour d'autres et inversement. Il y a un terrible relativisme de l'ordinaire. Le possible, dans notre quotidien, est très circonstancié.
Alors, soyons peut-être un peu moins superficiels dans nos considérations et nos attentes. Après tout, notre quotidien n'est rien d'autre que l'expression ce à quoi nous nous sommes habitués. Une panne, de temps en temps, nous rappelle que le monde n'est pas qu'un doux songe. N'est-ce pas Jacques Lacan qui aimait à rappeler que : "La réalité c'est quand on se cogne" ?

ORIGINAL (art) : L'original est une sorte de mythe, un archétype religieux. L'esthète "pratiquant" pense trouver, par là, une voie, une manière de remonter à la source de l'œuvre. En art, quand on contemple un original, on se donne l'illusion d'être le plus proche possible de l'acte même de la création. On s'attache à tous les détails pour espérer voir une trace qui nous parlerait : un trait de pinceau, un coup de ciseau sur le marbre, l'encre grisée d'une partition baroque, etc. En somme, tout ce qui nous permettrait d'être au plus proche de ces noms mythiques qui jalonnent l'histoire de l'art : Léonard de Vinci, Michel Ange, Jean-Sébastien Bach… Dans un tel rapport à l'objet artistique, on devrait plutôt dire des noms "mythologiques " plutôt que "mythiques", tant l'acte parait religieux et l'objet sacré. L'esthète forcené a une telle foi que prendre la question de l'original à la légère lui parait presque blasphématoire. Nous allons néanmoins tenter cette critique pour montrer qu'il n'en est rien.
Déconstruisons cette idée.
D'abord, il y a peu de gens qui sont capables de juger de la valeur d'un original. Il faut des années d'études pour être capable de replacer une œuvre dans son contexte pour être sûr que les techniques qui l'ont construite sont celles de l'époque. Un simple regard ne suffit pas, il faut toujours l'expertise d'un laboratoire performant. Aussi, la plupart des thuriféraires de l'original ne sont que des tartuffes ou des groupies peu réfléchis.
Ensuite, même face à l'original, sait-on réellement s'il traduit l'intention de l'auteur ? On peut imaginer que le peintre, par exemple, a pris telle toile non pas parce qu'il la voulait expressément, mais parce qu'il n'avait pas assez d'argent pour en acheter une autre. Tel autre (on pense bien sûr à Van Gogh) a fait un dessin au fusain faute d'avoir pu se payer de la gouache. Certes, la matière reste la matière originale, mais est-ce que cela nous permet de savoir ce que l'artiste voulait réellement ? Cela ne nous permet peut-être que de percevoir la manière dont il a limité les dégâts avec les moyens qui furent les siens.
Enfin, comme le remarque Walter Benjamin dans "L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique" : " Il est du principe de l'œuvre d'art d'avoir toujours été reproductible. Ce que des hommes avaient fait, d'autres pouvaient toujours le refaire." Combien de répliques produites par des faussaires qui sont presque parfaites, voire supérieures à l'original ? Et que penser des auteurs qui ont reproduit leurs propres œuvres ? Marcel Duchamp a refait plusieurs fois son "Nu descendant des escaliers". Lequel est l'original ? Le premier ou tous les autres qui furent, à leur manière, des originaux ?
Et au cinéma, que signifie un "original" ? N'est-ce pas une question absurde ? Le même film peut sortir en salle au même moment dans une dizaine de milliers de salles.
Que faut-il conclure de tout cela ?
Que ce qui nous importe est peut-être moins l'authentique que l'original. L'authentique est ce qui nous renvoie à l'idée juste de la chose alors que l'original n'en est peut-être que le reliquat, le reste physique qui a traversé le temps. N'oublions pas qu'une copie peut être authentique.
C'est cela que nous cherchons la plupart du temps.
Dans des musées très célèbres, il y a des tableaux non moins célèbres, qui sont tellement difficiles à assurer qu'ils deviennent inexposables. Alors, on fait faire des copies qui sont tellement fidèles que les plus zélés dans conservateurs considèrent que cela ne floue pas le public. Est-ce monstrueux ? Pas forcément. Est-ce normal ? Pas non plus. Combien de spectateurs seraient outrés de ne pas être en face de l'original s'ils l'apprenaient (alors qu'ils n'ont aucun moyen de vérifier l'information) ?
Aussi, à part pour quelques rares élus, on se fiche bien de savoir si l'œuvre est originale ou non du moment qu'elle nous permet d'avoir accès à ce qu'elle exprime.
Il n'y a rien de très original dans un original.

PÈRE NOËL : Il est assez drôle de penser que l'un des hommes les plus célèbres du monde n'existe pas alors que des milliards d'individus ont eu la preuve de sa réalité physique. En effet, un homme qui apporte des cadeaux le jour de Noël ne peut pas ne pas exister puisque les cadeaux sont là, sous nos yeux et qu'on peut les toucher. Le philosophe Friedrich Engels avait l'habitude de dire : "La preuve du pudding, c'est qu'on le mange". En bon matérialiste, il voulait dire qu'il y a des questions qu'il est absurde de poser. En effet, pourquoi irais-je douter de la réalité de la matière (comme le font les idéalistes) quand je vois bien que tout est matière autour de moi.
Mais peut-on en dire autant du Père Noël ?
Est-ce qu'on peut dire que le la réalité du Père Noël est aussi évidente que celle du livreur de pizza, puisque d'un côté on a des jouets et de l'autre une pizza ?
C'est là que la chose se complique. En effet, cette mystification planétaire, à une échelle quasi inhumaine (des "milliards" d'enfants bernés), est un peu plus complexe.
Aujourd'hui, nous savons que le Père Noël était en fait nos parents. Du coup, il n'existe pas. On se sent floué.
Mais le tort, tient-il vraiment à la perversité (ou l'intelligence) d'une éducation qui veut nous faire comprendre que l'éducation fonctionne grâce au désenchantement du monde ? Est-ce vraiment cela qui nous chagrine ou la pauvreté de l'alternative qu'elle propose ?
Je m'explique. Si mon père est livreur de pizza, il peut me livrer une pizza et rester mon père. Il n'y a rien d'aberrant à cela. Pourquoi n'en serait-il pas de même avec le Père Noël ? Pourquoi mon père ne pourrait-il pas être à la fois mon père et le Père Noël ? C'est là que le bât blesse. C'est cette inexplicable incompatibilité qui nous laisse sans voix.
Peut-être que la solution serait de commander une pizza au Père Noël.

PERSPECTIVE : Il y a un paradoxe assez intéressant quand on parle de perspective. En effet, quand on demande à quelqu'un ce qu'il compte faire de sa vie, on lui demande quelles sont ses perspectives. Cette question est censée l'obliger à vous répondre sur les buts qu'il s'est fixés, donc de vous faire part de ses valeurs morales ou existentielles.
Curieusement, cela ne choque personne. Or, qu'est-ce qu'une perspective ? C'est une astuce esthétique pour donner l'illusion de la réalité. C'est une sorte d'escroquerie intellectuelle. L'exemple le plus connu est la perspective linéaire qui fait croire qu'un tableau est en trois dimensions, là où il n'y a que deux dimensions.
Aussi, n'est-il pas étrange de demander à un homme comment il compte mettre en scène son existence pour qu'elle paraisse réelle ? Est-ce vraiment cela qu'on attend quand on voudrait que quelqu'un soit sincère dans les choix liés à son avenir ?
On peut évidemment supposer que ce n'est qu'une manière de parler et qu'il n'y a pas de quoi "fouetter un chat". D'ailleurs, qui serait assez absurde pour penser qu'il faudrait "fouetter un chat" ?
En même temps, on peut vouloir que les mots aient un sens et qu'on n'en dispose pas de manière totalement arbitraire. Ne vous est-il jamais arrivé de corriger une expression, comme ça, spontanément, parce qu'elle est fausse ou infondée ? Que diriez-vous de quelqu'un qui dirait "je vous entends" au lieu de "je vous attends" ? La négligence n'est pas que phonétique, elle change complètement le sens de la phrase.
Donc, il faudrait bannir l'idée d'une perspective de vie qui ne serait qu'une simple illusion d'optique indigne de la sagesse requise pour vivre bien.
Maintenant, on peut aussi penser que l'histoire de la langue est bien plus sage qu'elle ne parait. La tradition orale n'est pas le seul moteur des langues. Derrière l'homme du quotidien, il y a les érudits, les gardiens du Verbe. Ceux-là s'acquittent d'un devoir, moins visible, mais tout aussi efficace. Ils guettent les transgressions et se chargent de les condamner … si c'est possible.
Ceux-là ne manqueront pas d'être d'accord avec notre première remarque. "Perspective" vient bien de "perspectivus" qui, en latin, renvoie à des questions "optiques". Et nous savons, officiellement, depuis le "Discours de la méthode", que nos sens nous trompent et qu'il faut chercher la vérité au-delà des apparences. Rien ne s'oppose à ce que la perspective, comme illusion d'optique, ne soit l'exact contraire d'un projet existentiel sérieux. L'expression serait donc maladroite.
Mais, n'oublions pas l'étymologie des termes.
En effet, le terme "perspective" vient autant de "perspectivus" (relatif à l'optique) que de "perspicere", qui signifie "regarder au travers", "regarder avec attention" qui renvoie à l'idée de perspicacité.
Ici, nulle trace de trahison. La perspective n'est plus un regard lointain produit à partir d'un vague désir. Ici, c'est l'image qu'un homme lucide peut produire sur sa propre existence. Cela lui permet de s'expliquer sur la manière dont il envisage la "suite" des évènements.
Quand on s'interroge sur les "perspectives" d'avenir, on s'interroge surtout sur les "prétentions" d'avenir.
La question serait : "Que feriez-vous de votre avenir s'il vous appartenait ? »
Est-ce vraiment de cela qu'on se soucie quand on vous demande de remplir un curriculum vitae ? N'y a-t-il pas une intention cachée ? Il s'agit plutôt, comme on l'a suggéré plus haut, de mettre en avant les valeurs et les principes à partir desquels nous pensons construire notre avenir. Le but est inquisitoire. "Quelles sont vos perspectives ?" signifie en réalité : "Qui êtes-vous ?".
Ce n'est jamais une question innocente, parce qu'elle émane presque toujours de quelqu'un qui a un pouvoir sur vos "perspectives". C'est la question d'un juge, d'un supérieur hiérarchique, d'un médecin ou d'un psychologue.
C'est ici que la notion de perspicacité prend tout son sens. En effet, la "perspective" est tout sauf un "point de vue" philosophique sur le monde.
Puisqu'il s'agit d'une sorte de test, la réponse n'est pas libre. Elle doit être proche de ce qu'attend l'interlocuteur. Les perspectives "autorisées" sont généralement les suivantes : l'employé doit devenir encore plus efficace, le délinquant doit désirer s'amender, le malade doit vouloir guérir, l'élève obtenir de meilleures notes, etc.
C'est aussi simple que ça, mais il faut être lucide sur ce qu'il faut réponde.
Alors reformulons une dernière fois cette question : "quelles sont vos perspectives ?" signifie définitivement : "Avez-vous compris ce que l'on attend de vous ? Avez-vous conscience de "nos "perspectives ?"
Etes-vous prêts à vous soumettre à nos objectifs ?
Pour finir, il s'agit bel et bien d'une mise en scène. Ici, nulle réalité, juste une grande illusion d'optique.

PESSIMISME (philosophie) : Il existe des philosophes pessimistes. On peut citer Schopenhauer, Freud, Cioran et bien d'autres de la même importance. On imagine que cela peut paraître aberrant à beaucoup de contemporains, pour qui la philosophie est avant tout un "art de vivre en vue du bonheur". On ne compte plus le nombre de titres similaires dans les kiosques de gare où des "vrais sages", des "professionnels de la profession" (d'anciens ministres de l'Education nationale) vont vous apprendre à être heureux. Et, laissons de côté le sympathique Épicure, tellement maltraité par cette récente philosophie lucrative. Lui qui avait fait sincèrement du bonheur le premier but de la philosophie. Donc, aux yeux de ces nouveaux sages post-modernes, un philosophe pessimiste est soit un imbécile qui n'a rien compris soit, un malade un peu dépressif qui pense que le monde est comme lui. Aussi n'entendrait-il que les informations les plus désastreuses et ne verrait-il que la partie haute du verre à demi rempli. Certes, ce n'est pas entièrement faux, on ne s'imagine pas se déboiter la mâchoire de rire à un congrès international de pessimistes. Peut-on cependant penser qu'il s'agit d'une infirmité mentale ou d'une maladie ? Ouvrons un manuel d'histoire consacré au XXe siècle. Page après page, on découvre des faits étonnants : guerres mondiales, totalitarismes, exterminations massives d'humains, armes atomiques et bactériologiques… On peut logiquement se dire que pessimisme peut rimer avec réalisme. Imaginons maintenant l'inverse. Un optimiste béat feuillette notre livre d'histoire et se dit à chaque fois : "Ce n'est pas grave", "Ce n'est rien", "Bientôt cela ira mieux" … Là, on serait en droit de s'interroger. Qu'est-ce que cet optimisme ? D'où vient-il ? Cette "pensée positive" ne serait-elle pas l'indice d'une conscience qui n'est plus capable de regarder la réalité en face ?
On peut s'interroger.

POLITESSE : On pourrait définir la politesse comme étant l'art des civilités. Ce serait à la fois vrai et très discutable. Nombreux sont ceux qui voient dans le "poli" de "politesse" une référence à la "polis" grecque. L'étymologie est tentante. En effet, la "polis", c'est la Cité (avec une majuscule), là où vivent les hommes éduqués, qui s'occupent de "politique", c'est-à-dire de l'art de bien gouverner les hommes et de construire un bonheur commun. L'homme de la Cité s'oppose aux barbares. A ceux-là on reproche au moins trois choses. D'abord, on les soupçonne de préférer les rapports de force à la contractualité des lois qui gouvernent la vie sociale intra-muros.
Ensuite, on trouve étrange que l'on puisse préférer la campagne ou le désert aux avantages et aux ressources que procure la vie urbaine (au sens large).
Enfin, les barbares seraient des nomades, ce qui contraste avec le citadin qui est, évidemment, un sédentaire assumé. D'une certaine manière c'est le combat de Caïn, le sédentaire, contre Abel, le berger nomade.
Ainsi, la politesse trouverait son origine dans les règles que les hommes policés trouvent dans leur Cité.
Ajoutons que "polis" ne crée pas que l'adjectif "policé" mais aussi "policier". On laissera au lecteur le soin d'apprécier la nature de ce rapport pour ne pas nous perdre en considérations complexes et interminables.
Pour dire "policé", en latin, on dit "civicus", qui a donné civique, civil. Car l'homme policé est un homme civilisé. Le lien entre le grec et le latin est indiscutable.
Résumons-nous. Le "poli" de "politesse" renverrait à "polis" qui lui-même renvoie à "civis" qui suggère le fait d'être "civilisé". Un homme poli serait donc un homme civilisé.
C'est mignon, mais insuffisant.
En effet, la politesse n'engage à rien. Elle n'est pas le signe d'une éducation vertueuse. N'importe qui peut être poli, qu'il soit bon ou mauvais ou qu'il soit sincère ou sournois. C'est cela la force de la politesse : elle n'exige aucune sagesse. D'une certaine manière, un barbare peut être poli. Il a sûrement existé des bourreaux qui ont eu des bonnes manières, qui ne furent jamais insultants, voire qui portèrent des costumes propres avec des nœuds de papillon avant d'exécuter leurs victimes. Combien de criminels nazis étaient issus des meilleures familles d'Allemagne, parfaitement policés, parlant un français impeccable, mais complice de l'un des pires crimes jamais commis ?
Il est certain que si la politesse avait exigé un degré supérieur de civilisation, nous n'aurions eu à faire qu'à des monstres vulgaires, sales et répugnants.
En fait, "politesse" vient du latin "politus" qui signifie "uni", "lisse" voire "brillant". Dans ce contexte nous sommes davantage dans l'apparence que dans le fond des choses. Être poli signifie avant tout être lisse, sans aspérité. Faire en sorte que notre conduite soit irréprochable. Le but n'est pas de promouvoir une certaine idée de la civilisation, il s'agit tout simplement de ne pas faire de vague, d'acquérir l'art de devenir transparent, au sein d'un groupe social. Mazarin recommandait à ses amis (peu nombreux, si tant est qu'il ait eu des amis) de "simuler et de dissimuler". Là est le vrai art politique de la "polis" dont nous parlions plus haut.
L'idée n'est pas sotte. On ne demande pas à un citoyen d'aimer son prochain, mais de le respecter. Respecter, cela signifie simplement reconnaitre que notre concitoyen a des droits et qu'il est de notre devoir de les respecter. Inversement, nous exigeons de l'autre qu'il respecte nos droits. C'est davantage une question de logique que de civilisation. La politesse permet cela. Elle codifie nos rapports aux autres pour éviter tout conflit. Oui, "politesse" à davantage à voir avec "politus" qu'avec "polis", et tant mieux, car cela signifie qu'elle est même accessible aux barbares. Tout homme un peu réfléchi (y compris le barbare) sait qu'un conflit est coûteux et qu'il vaut mieux une bonne dose d'hypocrisie qu'un combat ruineux.
Le mot est lâché : "hypocrisie". Est-ce que la politesse ne serait qu'un "faux semblant" (en grec "hypôkrisis) ?
Peut-être, mais est-ce vraiment le problème ? En matière de paix, la fin ne justifie-t-elle pas les moyens ? Peut-être il y a-t-il une bonne hypocrisie ?
On en revient à la question initiale : "la politesse est-elle l'art des civilités ?". Oui, car cela garantit la paix civile. Quant au point de vue moral, il faudra qu'il s'accommode de l'idée qu'il existe une "hypocrisie morale" très efficace.

POURQUOI (la philosophie) : On se pose de moins en moins la question de savoir pourquoi on étudie la philosophie. C'est une matière à laquelle on se trouve naturellement confronté en classe de terminale, dans toutes les sections générales et technologiques. De fait, c'est une figure imposée, sans réelle surprise.
Il n'en reste pas moins qu'il y a encore des gens qui se demandent pourquoi on étudie la philosophie.
Pour répondre à cette question, ce n'est pas la philosophie, mais le "pourquoi" qu'il faut interroger.
D'un point de vue phonétique, il n'y a pas une grande différence entre "pourquoi" et "pour quoi". Il n'y a qu'un temps, un blanc entre le "pour" et le "quoi", et encore, un temps court, très court. Pas même l'équivalent d'une blanche en musique, juste un demi-temps, au mieux, une croche. Si au niveau "sonore", il n'y a qu'un battement de silence, en revanche, au niveau de la signification, la différence est abyssale. La question du "pourquoi" cherche à déterminer la cause, alors que le "pour quoi" cherche le but. En termes aristotéliciens, on dira que le premier cherche à identifier la cause motrice (ce qui occasionne la chose) alors que le second définit la cause finale (ce vers quoi elle tend).
Curieusement, quand un élève demande "pourquoi" on étudie la philosophie, il pose presque toujours la question du "pour quoi". Dans quel but étudie-t-on la philosophie. En gros, "à quoi ça sert ?". Il ne se situe jamais en amont, au niveau de la cause efficiente, ce qui reviendrait plutôt à interroger les causes qui font que l'on fait de la philosophie. "Pourquoi philosophe-t-on ?", dans l'optique de la cause motrice, est une question qui entérine le fait qu'il est pertinent de philosopher. On ne cherche pas à remettre l'acte en cause, on admet que cet acte est un fait, on cherche cependant à comprendre pourquoi on le fait.
On pourrait faire un parallèle avec le langage. Quand on demande "pourquoi" parle-t-on ? On ne se demande pas s'il est pertinent de parler, mais bien pourquoi il est évident qu'il faut parler.
Le "pourquoi" est déjà philosophique, il admet qu'on ne peut pas s'en passer, mais il aimerait comprendre d'où provient cette étrange détermination.
Le "pour quoi", en revanche, est consumériste. Il demande ce que cela rapporte, en laissant entendre que si cela ne rapportait rien, on pourrait s'en passer. Le "pour quoi ?", sans réponse, est un "à quoi bon ?". C'est une logique économique particulière. En effet, substituons au terme "philosophie", le terme "Homme". Mesurez-vous l'abîme idéologique qu'il y aurait à confondre la question "pourquoi l'Homme ?" avec "Pour quoi l'Homme ?". C'est dantesque.

PRESSENTIMENT : Quand un évènement grave s'est produit, il y a toujours des individus pour dire qu'ils se doutaient de cette possibilité, car ils avaient eu le "pressentiment" que cela arriverait. Que, d'une certaine manière, ils l'avaient prévu. Ce sont les mêmes qui disent qu'ils ont un mauvais "pressentiment", quand ils sont contraints de faire un choix qu'on leur impose ou qu'ils s'imposent. Ils remarquent que "tout cela" finira sans doute mal, car "ils le savent", sans pouvoir dire pourquoi. Pour eux, c'est une forme de vérité, même s’ils sont incapables d’expliquer d’où elle provient.
De quoi parlent-t-ils ? Que signifie ce terme de "pressentiment" dont aucune logique ne pourrait rendre compte ?
En psychologie, le pressentiment est une sensation qui fait écran à quelque chose que l'on n'a pas trop envie de s'avouer. Un "mauvais" pressentiment, n'est-ce pas souvent juste une "bonne" (vieille) peur ? Ce que l'on "pressent", n'est-ce pas simplement ce que l'on redoute ? Le pressentiment pourrait s'incarner dans l'expression : "Je crains que…" On transforme alors une peur en une forme de lucidité supérieure, car c'est plus gratifiant et moins alarmant.
On peut aussi penser que le pressentiment est une sensation que l'on invente après coup. Quand un évènement est trop pénible ou trop monstrueux, on s'angoisse de ne l'avoir pas vu arriver. Alors on cherche rétrospectivement les signes annonciateurs et on finit toujours pas trouver un lien avec une interrogation ou un doute que l'on a pu avoir à tel ou tel moment. C'est une manière de neutraliser la monstruosité d'un fait pour en assumer en assumer le choc psychologique. En effet, quelque chose que l'on aurait pu prévoir, est bien moins inquiétant qu'un phénomène surgit de nulle part et qui met en pièce toute logique. Ce qui nous surprend à ce point nous oblige à tout remettre en cause, ce qui n'est pas vraiment plaisant. Donc, il est toujours confortable de penser que nous avions plus ou moins le pressentiment de tel ou tel malheur.
Tout cela n'a rien d'inquiétant et la psychologie nous apprend que certains de nos travers ne sont souvent rien d'autre que ce qui fait de nous des humains comme les autres.
Laissons de côté la psychologie pour nous intéresser à la part obscure de la question. Qu'est-ce qu'un pressentiment pour quelqu'un qui pense que cela existe "réellement" ? Que peut bien signifier une telle chose quand on sort des sentiers battus de la psychologie ou de la raison ?
Pour certaines personnes, un pressentiment est quelque chose de tout à fait normal. C'est une intuition qui correspond à un "savoir irrationnel" (oui, l'expression est étonnante). C'est en fait une "prémonition", ce qui est censé permettre de comprendre "l'avenir" ou, plus modestement, "l'à venir". Pour le non rationnel, tout cela n'a rien de choquant, cela fait partie de la panoplie des pouvoirs que l'humanité n'a pas su exploiter, selon son point de vue. On imagine qu'on peut placer le pressentiment sur le même plan que le voyage astral, la communication avec les fantômes et le dialogue avec les morts. C'est quelque chose qui est inexplicable, mais qui, toujours pour "certaines personnes", est présenté comme un fait.
Certes, vous allez dire que c'est aller un peu loin pour ne parler que du pressentiment. Qu'est-ce que ce sentiment peut avoir de commun avec les "diseurs d'avenir", ceux qui font tourner les tables ou qui dialoguent avec les morts ?
Et bien, tout. Ils ont tout à voir avec ce monde de la superstition qui pense qu'il y a une vérité parallèle à celle de la logique ou bien des lois de la physique qui nous ancrent dans notre monde quotidien.
Celui qui croit au pressentiment est le même que celui qui pense que les lois de la science ne sont qu'une possibilité parmi d'autres. Il vit dans un monde où les évènements peuvent être perçus avant qu'ils ne se produisent. Pour lui, le temps n'a rien de physique, c'est une donnée métaphysique. Il admet l'idée qu'il ne faut pas chercher à tout comprendre, car tout ne serait ni explicable ni compréhensible. Il convient qu'il y a une part d'obscur qu'il considère comme étant parfaitement normale et qu'il faudrait accepter sans sourciller.
Est-ce à dire qu'il n'est pas possible de se douter de quelque chose sans que l'on puisse formuler clairement ce que l'on redoute ? Ne peut-on pas se dire qu'en telle occasion "il se pourrait que…" Si certainement. Mais cela ne nous autorise pas à en faire une sorte de prémonition voire d'en faire le résultat d'un sixième sens.
Apprenons à craindre l'avenir, car aucune certitude aveugle n'est saine. Le propre de l'à venir, est que cela n'a pas encore eu lieu. Tant que quelque chose n'est pas réalisé, tout reste (théoriquement) possible. Admettons surtout qu'il y a des évènements sur lesquels nous n'avons aucune prise et gardons-nous de vouloir tout expliquer, surtout par des "sciences occultes".
Les stoïciens disent qu'il y a ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. Sur ce qui ne dépend pas de nous, nous n'avons aucune prise, par définition. En revanche, il dépend toujours de nous de ne pas nous mentir ou de ne pas verser dans la superstition pour nous rassurer.

PSYCHOPATHE : Dans l'univers des séries TV, le psychopathe est un criminel incontrôlable voire un tueur en série. L'expression est dans toutes les bouches quand il s'agit de qualifier un acte particulièrement atroce, voire impensable. C'est évidemment l'action d'un psychopathe.
C'est peut-être un peu dur pour un mot ne cherche pas forcément à désigner cela. C'est comme le mot psychotique, qui renvoie, communément aux mêmes exactions supposées. D'aucuns pensent même qu'un psychopathe est forcément un psychotique, alors qu'il y a (heureusement) des tas de psychotiques qui ne sont pas des psychopathes.
On ne doute pas que de tels crimes sont produits, donc qu'il existe des individus assez déstabilisés pour les commettre. En revanche, jouons un peu avec les mots et les idées.
En 1901, Sigmund Freud publie un livre au titre évocateur : "Psychopathologie de la vie quotidienne". S'agit-il d'un bréviaire de toutes les perversités possibles à son époque, dans le quotidien d'un Européen du début du XXe siècle ? On pourrait l'imaginer, car moins de quinze ans plus tard sera déclenchée une guerre où les atrocités atteindront leur comble. Or, en 1901, les futurs acteurs de cette boucherie sont tous vivants, ils hantent les grandes métropoles européennes. Mais non, Freud n'est pas visionnaire, du moins pas de cette manière.
La psychopathologie désigne simplement le fait qu'un homme peut voir son comportement "affecté" (pathos, en grec) par un problème lié à son esprit (psyché, en grec). Freud nous apprend que nous pouvons tous être les victimes de nos représentations psychiques, c'est pour cela qu'il en parle du point de vue de "la vie quotidienne". Même l'homme sain d'esprit peut oublier certaines choses très banales, commettre un lapsus révélateur et dévastateur ou bien produire un acte manqué très gênant pour lui. Tout cela se retrouve au quotidien. Et Freud insiste sur le fait que ces actes ne sont pas seulement des ratages occasionnels ou des dysfonctionnements, mais bel et bien des expressions de notre inconscient. D'une certaine manière, nous voulons ces actes manqués. Ils sont le produit d'une partie de nous-mêmes que nous ne contrôlons pas vraiment. C'est pour cela que cela se nomme l'inconscient en renvoyant à une instance un peu obscure qui gouverne sa part du psychisme.
Inquiétant, non ?
Est-ce à dire que nous sommes tous des psychopathes ? Non, évidemment. Faut-il en revanche, nous exclure radicalement du monde de ceux qui agissent sans toujours savoir pourquoi ? Non plus.
Maintenant que cette mise au point est faite, une dernière remarque : les vrais psychopathes existent et ils sont dangereux, car ils sont fondamentalement antisociaux. Et ceux qui ne sont pas violents sont manipulateurs, ce qui ne vaut guère mieux.
Vous avez peur ? Vous me rassurez.

PURISTE : Qu'est-ce qu'un puriste ? C'est, par exemple, quelqu'un qui pense qu'il n'est pas possible d'écouter une symphonie de Beethoven sans lire la partition en même temps. C'est aussi celui qui prétend que l'on ne comprend rien à Homère si on ne le lit pas en grec ancien ou qu'il serait absurde de lire Lucrèce dans une traduction en français. Vous me direz que l'on n'en rencontre que rarement. C'est vrai qu'ils sont peu sociables, car ils n'aiment pas trop se mêler à cette foule dont le comportement est souvent peu puriste. En latin "vulgus" (qui va donner l'adjectif "vulgaire") désigne la foule, le commun des hommes. Mais, ce n'est pas parce les puristes ne sont pas toujours visibles, qu'ils n'existent pas ou qu'ils ne sont pas nombreux. Combien de puristes déguisés en professeurs, en artistes, en scientifiques ? Regardez bien autour de vous.
Que peut-on reprocher à ces "reprocheurs" professionnels ?
D'abord, que leur vie affective est dominée par une triade assez négative : étonnement, agacement et colère. Le puriste ne profite jamais de rien (ou alors très rarement) puisqu'il n'y a rien de vraiment parfait. Spinoza dirait qu'il est dominé par des passions tristes. Oui, le puriste est un individu triste.
Ensuite, il passe forcément à côté de l'essentiel, car il est surtout attentif aux détails. Ce qui l'agace, dans l'interprétation d'une œuvre de Beethoven, par exemple, c'est tel passage, tel air, tel mouvement qui auront été mal interprétés. Il a l'habitude de jeter le bébé avec l'eau du bain. Si tel passage est mauvais alors il en conclut que l'ensemble est mauvais. Le puriste oublie qu'un artiste ne recherche pas forcément la perfection, il cherche surtout à exprimer des émotions. Il veut porter son œuvre sur la place publique pour qu'elle soit vue ou écoutée. Même Berlioz (un vrai puriste) s'était ému du peu de succès de son opéra Faust lors de sa première diffusion. Inversement, Verdi a retravaillé Aïda, car après la première, il ne trouvait pas l'œuvre suffisamment populaire. Tout cela évidemment, laisse le puriste de marbre. Il est incapable de laisser de côté sa paranoïa pour prendre un plaisir vague et inégal.
Enfin, on dira pudiquement que c'est un jouisseur solitaire. Il n'est heureux que quand il est enfermé dans sa tanière à lire une vieille édition en grec d'Homère. Par exemple, quand il lit des passages en grec à voix haute et en se disant "comme c'est beau". Dommage qu'il ne puisse en faire profiter personne ou presque personne. Certes, il y a le cas des clubs de puristes qui se réunissent de temps à autre, mais l'idée me parait tellement effrayante que je ne vais pas l'évoquer.
Ces gens-là manquent un peu de modestie. Prenons plutôt exemple sur Montaigne, qui dit qu'il n'hésite pas à mettre un mot en gascon quand il ne trouve pas l'équivalent en français. Rappelons aussi la déclaration de Picasso : "Quand je n'ai pas de bleu, je mets du rouge". Et je mets au défi qui que ce soit de prétendre que ces deux points de vue son ceux de gens laxistes. On sait le soin que Montaigne mettait à relire ses textes et on connait la ténacité de Picasso qui n'hésitait pas à refaire un tableau s'il ne lui convenait pas.
Alors, contre les puristes, tentons un slogan : "Sachons jouir de l'imperfection".

QUESTION : On dit que tout le monde se pose des questions. C'est plutôt rassurant. En effet, cela prouve que nous ne sommes pas les seuls à ne pas tout comprendre de l'existence. Mais, plus sérieusement, seuls les ignorants ne se posent aucune question, c'est cela qui les définit. Il est donc vital de se questionner, c'est un signe d'intelligence.
Toutes les questions n'ont évidemment pas la même portée ou la même incidence. Il existe une distinction classique entre la science et la philosophie. On prétend que la philosophie se pose la question du "pourquoi" et que la science s'interroge plutôt sur le "comment". C'est un jugement un peu rapide, car la science n'ignore rien de l'intelligence des causes et la philosophie ne délaisse pas le jeu des "comment". Pour le second cas, les sciences sociales en sont la meilleure preuve. Mais, nous sommes déjà au-delà de notre propos.
Revenons à notre sujet. Comment se pose une question ?
Nous l'avons souligné plus haut : un homme ignorant ne se pose pas de questions. Il est sûr de son fait. Il ne doute de rien, car il est fier de penser ce qu'il pense. Sa prétendue expérience du monde l'immunise contre les tergiversations et autres hésitations propres à ceux qu'il considère comme des faibles (les "savants" par exemple ou les "intellectuels").
Donc, les questions ne sauraient provenir de l'ignorance.
Si le savant est celui qui s'oppose à l'ignorant, est-ce la science qui pose les vraies questions ? Sans doute. Le scientifique sait ce qu'il lui a fallu surmonter d'incertitudes pour pouvoir produire une ou deux hypothèses acceptables. Il sait ce qu'il doit à son scepticisme. Sans le doute, la science est impossible. En même temps, le savant sait qu'il faut surmonter ce doute. Il ne peut pas s'en tenir aux questions, il faut des réponses. La science, sans un minimum de vérité, n'a aucun sens. De ce point de vue, elle est même l'ennemi des questions puisqu'elle doit les supposer surmontables. Ce qui distingue une proposition scientifique de toute autre proposition, c'est qu'elle peut être vraie ou fausse. Elle doit être "réfutable". Ira-t-on jusqu'à dire que les scientifiques ne posent que des questions auxquelles ils ont déjà implicitement des réponses ? Certains, sûrement.
Mais toute la science ne peut pas être suspectée de mauvaise foi. Les scientifiques sincères qui n'ont jamais rien trouvé sont peut-être supérieurs en nombre à ceux qui sont les stars de la découverte.
N'y a-t-il que le savant et l'ignorant ?
Voyons du côté de Pythagore, celui dont on dit qu'il serait l'inventeur du mot "philosophie". Par là, il désignait une démarche qui se situe entre l'ignorance et le savoir. Le savant est sûr de son propos, car il sait ce qu'il sait et il est capable de le démontrer. Pythagore sait de quoi il parle puisqu'il serait à l'origine de la première "vraie" vérité de l'histoire : un théorème. Depuis, il n'y a plus de doute que le savant sache "réellement". On ne peut plus le confondre avec celui qui ne fait que jouer avec les mots (et les sentiments) pour "persuader" son auditoire.
Le savant est celui qui "convainc" grâce à sa logique, ce n'est pas un bateleur qui séduit par ses effets de manche.
Le philosophe, c'est celui qui "aime le savoir". C'est ce qu'indique son étymologie (philos = ami ; sophia = savoir). Il n'est pas savant, sans quoi il ne pourrait désirer ou aspirer au savoir, mais il n'est pas ignorant non plus. Il a su, à un moment propice, s'évader de ses certitudes sans se désespérer de son ignorance.
Car, après tout, c'est là que se joue la question du savoir et c'est incroyablement bien montré dans "l'Allégorie de la caverne" de Platon (voir "La République", livre VII).
Quand un ignorant doute, il se tourne vers l'inconnu. Ébloui par ce doute, il doit faire un choix. Ou bien, il trouve la force de se maintenir dans ce questionnement pour voir où cela le mène, ou bien il fuit et il retourne vers son ignorance. Le texte de Platon est clair, sur ce point. La curiosité ne suffit pas, il faut du courage pour être philosophe. N'oublions pas que la "sophie" de "philosophie" signifie autant la "sagesse" que le "savoir". La raison est autant raisonnable que rationnelle.
En même temps, il y a peut-être quelque chose d'irrationnel dans cette étrange démarche qui consiste à interroger ce qui paraît évident à d'autres.
Pourquoi les enfants sont-ils souvent plus intelligents que les adultes dans leur rapport au monde ? Pourquoi leurs questions sont-elles plus proches de celles des philosophes chevronnés que celles des adultes qu'ils côtoient au quotidien ? Ont-ils une spontanéité que d'autres ont perdue ? Sont-ils moins corrompus que ceux qui ont été éduqués à ne plus s'interroger sur certains problèmes ?
On ne le saura sans doute jamais, car ce sont des questions que nous ne nous posons que quand nous cessons d'êtres des enfants. Ici, toute rétroactivité sera nécessairement suspecte. Ce paradis est toujours déjà perdu (à supposer qu'il fut, un jour, acquis).
Peut-être que le mystère est réellement mystérieux. Peut-être que la question de la question n'a pas de réponse.








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Dernière modification le : 17/02/2017 @ 17:28
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