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Vendredi 2 juin 2023

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*La vertu

LA VERTU


VIVALDI Judith Triomphante



Commençons par la forme.

"Judith Triomphante" n'est pas un opéra, c'est un oratorio. Est-ce très différent ? Pas vraiment. Tout comme l'opéra, l'oratorio est une œuvre lyrique dramatique. Ce qui les distingue, c'est que l'oratorio n'est pas conçu pour être mis en scène. Les chanteurs se contentent d'interpréter l'œuvre sans la jouer. On pourrait dire que c'est un opéra en version concert. Dans sa forme audio, l'œuvre n'est pas vraiment distinguable d'un opéra.

On les différencie aussi parfois par leurs sujets. Le sujet des oratorios est souvent religieux, ce qui est le cas ici. Le genre fut inventé par un ordre religieux : les oratoriens. Il fallait préserver le potentiel de séduction de l'opéra sans s'abandonner à ses débordements.
Mais on en trouve, par la suite, beaucoup qui s'attachent à raconter des histoires profanes.
Il est vrai, cependant, que l'oratorio a la réputation d'être moins exubérant qu'un opéra. D'aucuns le disent même plus austère. Ce qui n'est pas entièrement faux. En revanche, il ne faudrait pas y voir l'austérité d'un chant grégorien, par exemple. Un oratorio peut être vif, enjoué, voire excessif.
Dans son analyse de la poésie de Hölderlin, Philippe Lacoue-Labarthe dit que l'excès peut prendre deux formes. Il y a, certes, l'excès dans le débordement, mais il y a aussi une forme d'excès dans la retenue. Pour illustrer cette idée, il compare l'opéra (surtout Mozart) et l'oratorio (principalement J.-S. Bach) : deux formes apparemment opposées, mais qui dérogent, à leur manière, à la morne mesure.

Notons aussi qu'il serait absurde de vouloir hiérarchiser ces deux formes. Les deux se valent. Chacune à ses excellences et ses médiocrités et beaucoup de compositeurs se sont essayés aux deux genres. Citons ce cas d'école qu'est l'œuvre de Friedrich Haendel. Après avoir rédigé une quarantaine d'opéras, Haendel ne compose plus que des oratorios. Et cela n'a pas grand-chose à voir avec l'idée qu'il se serait découvert une vocation d'artiste austère. Bien au contraire, ce bon vivant va apporter toute son énergie et sa passion à faire de cet art une vraie jubilation. Ce qui accrédite la thèse selon laquelle, s'il y a retenue, c'est dans l'excès. Ici, point d'austérité maigre.

"Judith Triomphante" raconte une histoire que l'on trouve dans la version catholique de l'Ancien Testament. Donc un récit religieux. Mais, ici, ce qui nous intéresse, c'est surtout ce que représentent les deux protagonistes.

L'histoire est la suivante.

Holopherne, général de l’armée assyrienne, conquiert Israël pour le compte du roi Nabuchodonosor. Son armée assiège la ville de Béthulie. Judith, une jeune veuve juive, propose à son peuple de les sauver en opposant la ruse à la force brutale. Elle se rend avec sa servante au camp d’Holopherne et fait mine de trahir les siens. Elle séduit le général, qui à l’issue d’une fête en l’honneur de Judith, rentre avec elle ivre mort. Judith en profite pour lui trancher la tête. L’étonnement est tel, dans le camp des Assyriens, qu’ils battent en retraite.

L'histoire est celle d'un conflit ou plutôt d'un duel. Un conflit entre les Juifs et les Assyriens et un duel entre Judith et Holopherne. Deux figures de proue de deux peuples qui sont en guerre.

D'un côté, le général en chef d'une puissante armée, de l'autre une femme résolue à qui tout un peuple confie son destin. Deux êtres exceptionnels qui, chacun à sa manière, vont incarner l'idéal d'une culture : d'une part "la force du fort" et, de l'autre, "la force des faibles".
La seconde triomphera.

Le thème philosophique retenu, pour cette œuvre, est la vertu.
Laquelle ? Surtout celle que partagent Judith et Holopherne : le courage.

Ce n'est pas la seule qui est illustrée, dans cette œuvre. Parmi les vertus cardinales, on trouvera aussi la prudence, la tempérance et la justice. Pour les vertus théologales, on trouvera la foi et l'espérance.
On verra que le rapport est déséquilibré. En effet, Holopherne ne semble briller que par son courage alors que Judith, tout en s'illustrant par celle-ci, semble posséder toutes les autres.
Il y a une vertu qui est sensiblement absente, c'est la charité. Troisième valeur théologale, elle n'apparait pas ou presque pas. Certes, c'est un récit biblique, mais c'est aussi et surtout l'histoire d'un triomphe guerrier. On comprend qu'elle soit reléguée.

Donc, avant tout, le courage.
Cette vertu est loin d'être simple. En effet, si nous pouvons nous accorder sur sa définition, il est moins facile de s'accorder sur son expression.

Commençons par la définition. De manière un peu sommaire, on dira que le courage est ce qui nous permet de surmonter notre peur.

Elle s'oppose à deux extrêmes : la lâcheté et la témérité.

La première est la forme la plus hideuse de la volonté. Elle trahit sa plus extrême faiblesse. Le lâche est haïssable, car il ne fuit pas un danger, mais l'idée qu'il se fait de ce danger. Incapable de faire face à l'adversité, il ne se confronte même pas à l'objet de sa passion. Il fuit même s'il n'y a aucune raison objective de le faire. On dira qu'il a peur de la peur. C'est une anti-morale, car ici, on est faible par principe.
Nulle trace de lâcheté dans "Judith Triomphante".

L'autre extrême est la témérité. Là, on ne pêche plus pas faiblesse, mais par ignorance. Le téméraire va au-devant du danger, car il ignore ce qu'est un danger. Il n'est pas assez intelligent pour comprendre qu'il va à sa propre perte.
Nous verrons qu'il y a une forme de témérité subtile chez chacun des deux protagonistes.
C'est un défaut qui est peut-être nécessaire en temps de guerre.
Judith va quand même prendre le risque d'aller, seule ou presque, en territoire ennemi pour défier physiquement le vainqueur.

En définissant le courage comme un juste milieu entre ces deux vices, on souligne qu'il a le mérite de valoriser à la fois l'intelligence de la situation (pour comprendre qu'il y a un danger) et la force morale (qui permet de ne pas se détourner de ce danger).

Comment ce courage s'exprime-t-il ?
Holopherne est l'incarnation du héros fort (parfois au détriment de la prudence) et Judith représente cette lucidité à l'égard du danger, nécessaire à cette vertu.

On a d'un côté le courage du soldat de terrain, il est manifeste et s'exprime de façon éclatante tout au long de l'action. L'autre est en quelque sorte invisible, il s'exprime d'abord par la détermination et ne s'affirme que quand le but est atteint.

Le courage du soldat est public, il se déploie en plein jour aux yeux de tous. Sur un champ de bataille, on voit qui est valeureux et qui est lâche. Le courage de Judith doit rester secret. Hormis sa servante, personne ne peut l'admirer. Elle doit se nourrir de sa propre détermination.
Est-il plus désintéressé ? C'est difficile à dire. Une chose est sûre, parce qu'il n'est pas immédiatement admirable aux yeux de tous, il porte moins à la vanité. Or, c'est à cela qu'est exposé Holopherne. C'est cette vanité qui le rend fragile. Trop sûr de sa valeur, il va négliger une autre vertu : la prudence. Sûr de sa supériorité, il ne se méfie pas de cet ennemi en jupon.
D'ailleurs, comment pourrait-il en être autrement pour ce chef de guerre ?
La guerre n'est-elle pas une affaire d'homme ? Par conséquent, l'ennemi n'est-il pas nécessairement un homme ? Le bon sens militaire ne trouve-t-il pas lâche de s'en prendre aux femmes ?

C'est sans doute l'un des défauts du militaire. Sauf pour le stratège, la guerre est davantage une question d'action que de réflexion. Pour le soldat, l'aspect brutal a quelque chose de fascinant. On y admire le courage "viril".
Cet adjectif est important. Il provient du latin "vir", qui désigne la force mâle qui a, certes, donné le mot "viril", mais aussi le mot "vertu".
Ce qui doit faire penser à certains qu'il ne peut y avoir de femmes vertueuses, au sens strict.
En outre, "vir" viendrait de "vis", la force, que l'on trouve aussi dans "violence" voire "viol".
Quelque chose qui est fortement connoté comme étant masculin.

Mais, ce serait une terrible erreur d'en conclure que le courage est uniquement masculin. Holopherne l'apprendra à ses dépens.
Notons qu'à Rome, la vertu est une déesse, pas un dieu. Sa possibilité féminine n'est pas exclue.

Qu'en est-il de l'œuvre elle-même ? Quel est son contexte ?

C'est le seul oratorio complet de Vivaldi qui nous est parvenu. Nous savons qu'il en a composé trois, à cette époque et que "Judith Triomphante" était le deuxième.

Il est composé en latin, la langue du Vatican. Ce qui explique qu'il est généralement classé parmi les œuvres sacrées de Vivaldi. C'est du moins, sous cette appellation que l'œuvre fut commandée.

Nous sommes à Venise, en 1716, au Pio Ospedale della Pietà, où Antonio Vivaldi enseignait, dirigeait l'orchestre et composait pour cette institution. C'est un pensionnat et un orphelinat où l'on encourage l'étude de la musique et du chant. C'est une sorte de conservatoire.
C'est ici que sera interprété pour la première fois "Judith Triomphante".
Comme le public des pensionnaires est exclusivement féminin (soixante jeunes filles…), tous les rôles sont écrits pour des voix de femmes. Les lignes mélodiques requièrent, en théorie, quatre mezzo-sopranos et une soprano. Il n'est pas rare de voir une autre configuration : deux sopranos et trois contraltos.

Il y a six personnages :
- Holopherne et son serviteur Vagans.
- Judith et sa servante Abra.
- Le prêtre Ozias et le chœur (qui a un rôle relativement secondaire).

En résumé, deux héros, deux personnages secondaires, deux entités morales. Tout cela est bien équilibré au niveau dramatique. En revanche, le déséquilibre est patent quand on mesure les forces en présence. Quoique plus nombreux, les Assyriens sont sous-représentés, car ce camp se résume à Holopherne et Vagans, contre tous les autres.
On fête clairement le triomphe de Béthulie sur l'envahisseur. Le titre exact de l'œuvre est : "Juditha triumphans devicta Holofernis barbarie".

Il y a un contexte historique, car en cette année 1716, Venise célèbre sa victoire sur les Turcs, qui lui a permis de reprendre l'île de Corfou. On se doute qu'il faut reconnaitre la Sérénissime derrière la ville de Béthulie.

L'œuvre est composée de deux parties et de 56 morceaux en tout, alternant presque toujours un récitatif et une aria.
Nous nous servirons de cette numérotation pratique.

Tout commence par une "symphonie" triomphante (N°1), du moins, dans la partition. La "sinfonia" d’ouverture a été perdue. Elle a été remplacée par un concerto de trompettes.
Un lecteur peu averti pourrait y entendre le triomphe d'Holopherne sur Béthulie.
Les trompettes sonnent et les tambours résonnent.
Mais il n'en est rien.
Cette marche triomphale provient du camp ennemi.
Alors qu'il pourrait signifier le triomphe des Assyriens, il en préfigure, en fait, le déclin.

Holopherne est le premier à parler (N° 2 et 3). Il vante le courage de ses guerriers et leur dit qu'ils peuvent être fiers de leurs chefs et combien leurs chefs sont fiers d'eux… Bref, il n'incarne pas la modestie.
C'est cette vanité qui le perdra.

Arrive Vagans (N°4), son très soumis serviteur qui lui annonce un "puissant appoint à sa gloire" et "un vrai régal pour les yeux". Lui non plus ne brille pas par son tact, car c'est ainsi qu'il annonce la venue prochaine de Judith.

Celle-ci nous apparait déterminée et calme (N°7). Elle dit son amour de la patrie et son espoir de liberté. Elle se présente (N°10) comme messagère de paix et non de guerre.

On est étonné de la désinvolture d'Holopherne qui tombe immédiatement sous le charme et déclare son amour (N°16) : "O phalanges, cédez la place à mon amour."
Il est vrai que tous, y compris le chœur (voir le très beau passage N°11), vantent la beauté de Judith.
L'attitude du général assyrien contraste avec la dignité de Judith.

L'aria N°19, de Judith, est l'un des sommets de l'œuvre. En revanche, la beauté de la musique et le lyrisme poétique du texte ne doivent pas nous faire oublier que c'est un exercice de charme destiné à vaincre Holopherne. Elle s'y présente comme un oiseau fragile, blessé, qui ne demande pas mieux que de découvrir les joies de l'existence.
Nul besoin d'être psychanalyste pour comprendre qu'elle ne fait que renvoyer, à Holopherne, l'image que celui-ci veut avoir d'elle. Même le plus vaniteux des guerriers ne peut s'empêcher de succomber à l'image du héros protecteur.

Pour l'épater, il ordonne qu'on prépare un festin avec les meilleurs mets.
Là aussi, pour peu qu'on se permette un peu d'ironie, notre héros est peu finaud. La ficelle de l'étalage de richesse trahit bien peu de subtilité.
La première partie s'achève sur un dialogue entre Judith et sa servante dans lequel les deux femmes se rappellent mutuellement l'importance de leur tâche.

Avant d'aborder la deuxième partie, il convient de s'interroger sur la démarche de Judith.
Séduire, pour endormir l'ennemi et le tuer dans son sommeil, est-ce vraiment un acte de bravoure ? En quoi est-ce héroïque ?
Ne pourrait-on pas plutôt y voir un acte sournois qui repose essentiellement sur la tromperie et le mensonge ? N'est-il pas plus noble d'affronter son adversaire face à face, en plein jour ?

La réponse est non, et croire le contraire serait un immense signe de naïveté.

Il est vrai qu'un certain romantisme, sans douté hérité d'une trop grande fréquentation des romans de chevalerie, nous pousse à voir de la noblesse dans un duel en plein jour. Mais cela ne vaut que pour des adversaires de force égale. C'est un luxe et une vanité que peuvent se permettre des chevaliers bien équipés, éduqués au combat, qui connaissent et acceptent certaines règles.
Tout cela n'a aucune valeur quand un faible cherche à se déprendre de l'injustice que lui impose un plus fort.
En quoi la victoire militaire d'Holopherne serait-elle moins suspecte que celle de Judith ? La disproportion de force n'est-elle pas elle-même un scandale ? Que penserait-on d'un boxeur poids lourd qui assommerait, à coups de poing répétés, une jeune femme ? Dirait-on qu'il a le mérite de faire face à son pauvre adversaire ? Et que penserait-on de cette victime si, en parvenant à frapper son tortionnaire dans le dos, elle se libérait de la domination de la brute ? Ne dirait-on pas qu'elle est dans la légitime défense de sa personne ?
C'est ainsi qu'il faut voir le geste de Judith. Sa stratégie est celle d'une femme seule contre une armée. Notons l'ironie du terme, car étymologiquement, "stratégie" signifie "conduire une armée". Ici, Judith est une armée à elle toute seule. Elle n'en a que plus de mérite.

Tous les grands livres de stratégies, des "Trente-six stratagèmes" chinois à "De la guerre" de Clausewitz, en passant par Sun Tzu, soulignent l'importance de savoir ne pas engager le combat frontalement quand cela peut s'avérer funeste. C'est aussi un principe politique : "simuler et dissimuler". La force ne réside pas seulement dans la brutalité.

Cette leçon, nous la tenons aussi des Grecs, à travers ce qu'ils appellent la "métis", que Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant traduisent par "les ruses de l'intelligence", dans leur excellent livre éponyme.
On pourrait aussi citer la phrase du prophète Zacharie, que Judith aura certainement lu : "Plus fort que le glaive est mon esprit".
Au fond, on dira que c'est de bonne guerre.

La deuxième partie s'ouvre sur l'invocation d'Ozias (N°28), prêtre de Béthulie qui place l'action de Judith sous les auspices du Ciel. Il invoque le dieu d'Abraham pour guider la main de la belle veuve qui sauvera son peuple. L'air est solennel.

Puis c'est le tour d'Holopherne (N°32). Il chante son amour pour Judith. C'est l'un des plus beaux passages de l'œuvre : "La nuit obscure et ténébreuse par toi s'éveille à la lumière, fulgurante de merveilleuse splendeur et il n'est point de nouvelle aurore si superbe et brillante qui ne soit éclipsée par ta clarté…" On le croit sincère et sans doute l'est-il.
Judith ne se laisse pas impressionner. Elle lui reproche même ce lyrisme exubérant. Elle lui rappelle que (N°33) : " Nulle autre image que celle du créateur doit être vénérée sur cette terre" et (ibidem) "ce qui brille sur un visage est poussière, ombre, néant".
Pour elle, il n'est pas question de considérer la situation de son point de vue individuel. Elle est là pour sauver son peuple, avec l'aide du Ciel. Le reste ne serait que vanité.

Holopherne reçoit la critique sans voir le danger qui menace derrière ces paroles. Confiant, (N°39) il lève son verre et boit à la santé de son hôte. Le vin lui apportera l'ivresse physique que l'amour procure à son âme. Il finit l'aria par : " que par toi l'amour vive en paix."

Judith reprend immédiatement (N°40) : " Qu'il vive en paix et que règne une paix sincère, et qu'à Béthulie s'allume le flambeau de l'amour."
Là, elle ment. Et c'est la seule fois où elle n'est pas sincère dans ce qu'elle affirme. On imagine combien lui coûte ce pieux mensonge. Non pas parce que c'est un mensonge, mais parce que c'est par lui qu'elle ne peut plus revenir en arrière. Elle accepte, ici, de partager la couche d'Holopherne, ce qui signifie, pour ce dernier, son lit de mort.
La musique est grave, pesante.
L'excuse de ce mensonge est omniprésente dans l'aria N°40. Les neuf lignes de texte contiennent sept fois le mot "paix". Une fin si souhaitable, ne justifie-t-elle pas les moyens ?

Holopherne est ivre. Il dort. Il ne dira plus un mot jusqu'à la fin de l'œuvre. Son sort est scellé.
Vagans l'ignore et dans le récitatif N°43, il confie son maître aux soins de Judith.
L'agneau endormi est prêt pour le fer.

Un dernier échange avec Abra (N°46), la fidèle servante et Judith va pouvoir accomplir l'acte tant prémédité.

Judith (N° 47 et 48) : "… celui qui repose ici, qu'il soit vidé de son sang, et que son sang orgueilleux coule à mes pieds."
Que dire ?
D'abord que la musique de l'aria N°47 est rythmée et presque ludique. Mais bon, va-t-on se plaindre de la mort du tyran ?
En revanche, l'accompagnato N°48 est un récitatif. Presque une didascalie. Lisons le texte :
" Dégainant l'épée suspendue au chevet du Tyran impie et indigne, je lui porte un coup. Du malheureux Holopherne, en ton nom, ô Dieu, je décapite le tronc."
On a l'impression qu'elle commente l'action, comme si elle n'était pas seule. Comme si elle se voyait faire l'action plutôt que d'en être l'auteur. Cela rend la narration presque objective.
Est-ce une manière de signifier qu'il n'y a, en elle, aucune passion ? Que l'acte est commis froidement, par devoir ?

Là, nous retrouvons l'idée de vertu. La justice exige que l'on agisse de sang-froid, sans haine.
Autre référence à la justice : elle exécute Holopherne avec sa propre épée : "Celui qui a vécu par l'épée, périra par l'épée".
On y trouve même une once de charité. Celle-là même dont on pensait, au début, qu'elle n'avait pas sa place. Elle dit : "… malheureux Holopherne".

Elle quitte le camp avec Abra et la tête de son ennemi dans un linge.

Découvrant le corps de son maître, Vagans se lance dans un appel à la vengeance d'une grande beauté (N°52) :

" Avec vos torches et vos serpents,
De votre royaume ténébreux et horrible,
Compagnes de la barbarie et de la fureur,
O Furies accourez vers nous.
Conduisez-nous, enseignez-nous
Qui avons le cœur en courroux
A venger notre si grand deuil par la mort,
Par le fouet, par le sang répandu."

[NB. L'interprétation de Cecilia Bartoli, un sommet du genre, est assez facile à trouver – il ne faudrait surtout pas s'en priver.]

Vagans, le serviteur fidèle plutôt falot, se transforme d'un seul coup en passionaria de la vengeance. La musique est puissante, à la mesure de la force symbolique des paroles. Le rythme claque, comme le fouet des Furies.
C'est un appel vain. Qui va pouvoir venger Holopherne ?

En décapitant le général des armées, Judith a décapité l'armée elle-même.
Serait-ce aussi facile dans ce que l'on nomme la "vraie vie " ? Le débat est relancé régulièrement par les livres d'histoire. Suffit-il de renverser un tyran pour renverser la tyrannie ? C'est une question à laquelle on se gardera de répondre.

En Béthulie, en revanche, c'est le soulagement.
Ozias (N°53) l'exprime : "En quelle inhabituelle clarté s'élève, des confins de l'Orient, l'aurore ceinte de fleurs, couverte de rosée…" et (N°54) "Triomphe, bienheureuse Béthulie ; réjouis-toi et console-toi".
Le chœur final est beau et serein.

Judith n'interviendra plus.
Son acte est accompli, elle n'a plus besoin de paraitre.

Nul besoin d'applaudissement pour cette femme qui possède toutes les vertus, donc forcément celle de la modestie.

















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Dernière modification le : 06/09/2016 @ 14:48
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