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A quoi sert la philosophie ?


 

A quoi sert la philosophie ?


La question « à quoi sert la philosophie ? » est celle que se pose tout élève abordant la philosophie comme une nouvelle discipline d'enseignement. Ce simple fait signale l'originalité de la réflexion philosophique. Contrairement aux autres disciplines ou formes du savoir, elle paraît d'abord ne pas avoir d'utilité, être une réflexion sans but ou sans finalité. Mais elle est aussi la seule capable de poser cette question à son propos et peut-être d'y répondre.

Dans le "Ménon", pour définir l’une des exigences de la pensée philosophique, Platon nous dit qu’on ne peut pas savoir si un homme est riche sans le connaître réellement, car il ne faut jamais juger sur la seule apparence. Ce qui peut paraître évident (la vue d'un un beau costume, d'une Rolex…) et qui guide le jugement de la plupart des individus, ne devient souvent qu’une qualité secondaire, quand elle est analysée de près.
L’opinion commune se contente souvent d’un jugement facile, prêt-à-penser (un préjugé), plutôt que de chercher à construire une analyse raisonnée afin de réfléchir en tout connaissance de cause.
En d’autres termes, l’attribut qui est premier pour l’opinion commune, est souvent second pour le philosophe. Celui-ci comprend qu’il faut d’abord repérer ce qui est fondamental avant de débattre de son utilité.

Comment appliquer cela à la philosophie ? Quelle est l’essence de la philosophie ? Comment la circonscrire pour en comprendre l’utilité ?

On peut se servir du recours classique à l’étymologie. « Philosophie » vient du grec « philos » et « sophia ». La « sophia », c’est le savoir et/ou la sagesse. Le « philos », c’est l’ami ou l’amoureux. Ainsi le philosophe serait l’ami ou l’amoureux du savoir. L’idée n’est pas sotte. Il suffit de parcourir l’histoire de la philosophie pour se rendre compte à quel point les philosophes sont réellement compétents dans des domaines aussi divers que les mathématiques, la morale, l’esthétique ou la littérature, etc. Mais, il serait maladroit de les réduire à des savants. Si le philosophe est savant, il se garde bien de vouloir être un savant. Le savoir lui paraît davantage quelque chose à acquérir que quelque chose de conquis. La philosophie se plaît à ne pas chercher à conclure trop rapidement. En cela elle suit le précepte judicieux de Gustave Flaubert qui avertissait : « La bêtise, c’est de conclure ». Le questionnement l’intéresse davantage que les réponses. En fait, il serait davantage « l’enfant de l’étonnement », que « l’ami du savoir ». La beauté et l’intelligence de certaines constructions philosophiques sont telles qu’on peut se demander si le but de la réflexion n’est pas de créer davantage de doute que de la certitude. Le génial Montaigne semble souvent n’approfondir des questions que pour mieux faire l’épreuve de son ignorance. Sa devise « Que sais-je ? », n’en témoigne-t-elle pas ? En vérité, ce ne serait rien comprendre à la philosophie que d’ignorer son goût profond pour le doute et l’incertitude. Souvent, le philosophe ne semble jamais aussi à l’aise que quand il est capable de saisir la fragilité de ses affirmations.

Ce n’est sans doute pas un savant, mais il n’est pas non plus assimilable à un ignorant. On ne trouve pas chez lui cette délectation qui définit souvent la jouissance de l’ignorant. Ce dernier se targue souvent de ne rien savoir et de considérer que cela est bien ainsi. La philosophie ne se complaît pas dans l’imbécillité. Elle est très méfiante à l’égard de l’opinion commune. Elle s’y oppose volontiers. Non seulement le paradoxe (para = contre ; doxa = opinion commune) ne l’effraie pas, mais elle le cultive volontiers.
D’un tel point de vue global, on affirmerait que la philosophie sert à comprendre autrement, ou mieux, ce qui paraît aller de soi pour le non philosophe. Qu'elle vise la sagesse sans être jamais certaine de l'atteindre. Elle encourage à la lucidité, à la prise de conscience la plus développée. Que même elle petit proposer - que l'on pense à Kant - une conception particulièrement rigoureuse de la moralité, et ainsi « servir à» mieux se conduire.
On constate ainsi que son utilité est d'un ordre très différent de celle que l'on peut rencontrer dans les autres domaines intellectuels. Il s'agirait d'une utilité sans rapport avec l'intérêt pratique où économique, purement intellectuelle mais s’accompagnant éventuellement d'un sentiment de satisfaction. Philosopher servirait ainsi à « ne pas mourir idiot», et de trouver des règles morales susceptibles de rendre la vie des hommes meilleure.
Ce faisant, on considère toutefois la philosophie indépendamment de son histoire – comme si elle demeurait indéfiniment semblable à elle-même. Rien n’est moins sûr.

C’est sans doute dans sa version hégélienne que le système philosophique trouve sa réalisation la plus aboutie. L’ambition de comprendre s’y affirme aux dimensions de l’histoire entière de l’humanité et de l’Esprit. Philosopher à pour but de transposer dans un système rigoureusement articulé de purs concepts rien moins que le monde lui-même.

Tout système philosophique – Descartes, Hume, Kant, etc. – procède de la sorte. Il produit des concepts où viennent se « résumer » les choses, les êtres, les évènements. Et la philosophie apparaît ainsi comme une production très particulière puisque, en élaborant des éléments abstraits, son efficacité se marque en apparence à la seule constitution d’une bibliothèque inachevable.
Cette bibliothèque n’est toutefois pas « lettre morte » puisqu’on constate que les thèmes et les concepts philosophiques se diffusent, à plus ou moins long terme y compris dans l’opinion commune. Sans réelle utilité, la philosophie se trouverait ainsi dotée d’une réelle efficacité. Même s’il est vrai que les concepts subissent des altérations en se vulgarisant.

Selon Marx, la philosophie permet de faire évoluer les mentalités. Certes, celles-ci ont toujours un temps de retard sur le moment où le philosophe les conçoit, mais les systèmes de pensées finissent toujours par trouver une manière de s’incarner. Ici, la philosophie est pensée sur le mode d’une praxis. Elle est intimement et dialectiquement liée à l’action. Dès lors, la philosophie trouve un but : transformer la société. La pensée marxiste va étudier les phénomènes historiques pour tenter de montrer comment les idées s’incarnent matériellement dans les différents clivages sociaux. Marx lui donne aussi un rôle révolutionnaire. Le philosophe n’est pas simplement un théoricien. Il doit aussi contribuer à mettre fin à la lutte des classes qui caractérise l’incarnation des idées dans le champ socio-historique. Là, naît un problème. En effet, si la philosophie prépare la révolution, elle contribue à sa propre fin. Si la révolution confirme sa validité en la réalisant, on voit mal quelle frome elle pourrait prendre après la révolution.

Alors, à quoi sert la philosophie ? Lorsqu’elle se met « au service de » quelque chose ou d’une cause (la théologie au Moyen Age, la révolution marxiste, etc.) elle risque de disparaître. Lorsqu’elle s’affirme indépendante, on lui reproche son idéalisme ou son inutilité. Mais cette dernière, peut-être faut-il la comprendre au sens où la philosophie est elle-même sa propre fin et ne peut être considérée comme un moyen. Autonome, la philosophie ne «sert» en effet à rien d'immédiat - sauf à montrer qu'à côté des pensées utilitaires, il reste un espace de pensée interrogative, capable de mettre en question l'utilité elle-même.

Dès lors elle contribue à explorer le champ de la connaissance et des possibilités humaines. Libre de toute servitude, elle permet une meilleure analyse de ce qu’est l’homme. Kant distingue trois questions fondamentales qui résument bien le questionnement philosophique. Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ?
Bref, comme dirait le Général : « Vaste programme ».


































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